jeudi 26 février 2009

PÉDAGOGIE GÉNÉRALE ET PÉDAGOGIE SPÉCIALE


Dans Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, on définit la pédagogie comme « toute activité déployée par une personne pour développer des apprentissages précis chez autrui »[1]. Nous pouvons souligner deux aspects explicites dans cette définition : l’activité d’une personne (l’enseignant) et l’apprentissage chez autrui (l’apprenant). L’autre aspect implicite (non moins important), le savoir, le savoir-faire, le savoir-être ou le savoir-devenir, fait la relation entre l’enseignant et l’apprenant, et crée ce que Jean Houssaye appelle « la situation pédagogique »[2] ou « le triangle pédagogique » : savoir, professeur (enseignant), élève (apprenant).





Dans cette perspective, ce grand spécialiste français de la Pédagogie (Houssaye) a dit : [la pédagogie] « c’est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducatives par la même personne, sur la même personne. Le pédagogue est un praticien-théoricien de l’action éducative. […] C’est ainsi que, pour être pédagogue, il ne suffit pas d’être enseignant, spécialiste en sciences de l’éducation ou formateur. L’enseignant se présente comme le spécialiste d’un savoir uni ou pluridisciplinaire et comme praticien de la pédagogie de ce savoir ; mais, de même que, par exemple le professeur d’histoire n’est pas historien, de même sa pratique pédagogique n’est pas réellement source de théorie : il utilise de la théorie mais n’en "fabrique" pas. Le spécialiste en sciences de l’éducation, de son côté, part d’un savoir théorique constitué, cherche bien à l’élargir en l’appliquant parfois à une pratique, qui cependant est le plus souvent celle des autres, mais cette pratique n’est là que pour confirmer et vérifier le savoir : il utilise de la pratique mais n’en "fabrique" pas. Le formateur, enfin, se présente comme un enseignant en sciences de l’éducation ; à ce titre, il vise la pratique des uns à partir de la théorie des autres, mais sa propre pratique n’est pas constitutive de son savoir pédagogique : il utilise de la théorie mais n’en "fabrique" pas, il utilise de la pratique mais n’en "fabrique" pas. »[3] En effet, la pédagogie (en générale) se distingue (sans s’opposer) de la didactique et des sciences de l’éducation.
  1. Les sciences de l’éducation, en se donnant un champ de recherche riche et dynamique, cherchent à améliorer la connaissance concernant les grandes questions ou les problèmes qui influencent plus ou moins directement les situations pédagogiques. Dans cette perspective, les chercheurs en Sciences de l’éducation cherchent aujourd’hui à expliquer : « 1) Les phénomènes macro-éducatifs et supra-individuels : les faits démographiques, économiques, sociaux, institutionnels ou culturels ; les appareils éducatifs, les systèmes scolaires, les politiques d’instruction… 2) les phénomènes micro-éducatifs et individuels : la part de la psychologie et de la physiologie concernant les processus cognitifs ; la relation à autrui dans l’apprentissage ; l’apprentissage lui-même ; 3) la didactique des disciplines, les méthodes, les mécanismes de transmission ; l’évaluation, la docimologie, la sélection… 4) les doctrines éducatives, les pédagogies, l’interaction des théories et des pratiques, l’interrogation épistémique des discours sur la dévolution et l’enseignement. »[4]
  2. La didactique, dans sa forme nominale et son sens scientifique, désigne dans Robert pour Tous, la "science des méthodes d'enseignement". Par contre, il faut le dire, son champ d'application varie selon les contextes linguistiques et culturels. Selon Gérard Vergnaud, « la didactique étudie chacune des étapes de l'acte d'apprentissage et met en évidence l'importance du rôle de l'enseignant, comme médiateur entre l'élève et le savoir... ». Philippe MEIRIEU, dans Apprendre…oui, mais comment (1990), définit la didactique comme des « réflexions et propositions sur les méthodologies à mettre en œuvre pour permettre l’appropriation de contenus spécifiques ». Arnaud, dans La didactique de l’EP (1985), ajoute que la didactique est une « théorie construite de l’exercice qui par un ensemble de situations instrumentales finalisées définit pour chaque matière d’enseignement un contenu structuré et hiérarchisé afin de guider les apprentissages scolaires des élèves ». Pour Bernard BOULDOIRES, « la didactique d'une discipline est la science qui étudie, pour un domaine particulier, les phénomènes d'enseignement, les conditions de la transmission de la culture propre à une institution et les conditions de l'acquisition de connaissances par un apprenant ». Comme il n’existe aucun consensus actuellement sur la définition de la didactique, nous en disposons d’une façon simple et pratique dans le cadre de notre blog, sans prétendre trancher la question. Cela consiste à dire que la didactique traite des contenus du savoir et de la manière dont on les adapte pour faciliter les apprentissages. Dans ce cas, elle a pour objet non seulement l'étude et l'organisation des savoirs, mais aussi leur diffusion. Il y a une didactique par matière d'enseignement. D'où des didactiques disciplinaires, telles que: la didactique de l'histoire, la didactique de la géographie, la didactique de la citoyenneté, la didactique de l'éducation physique et sportive, la didactique des langues, la didactique du français, la didactique des mathématiques, etc. Le didacticien est un spécialiste de l’enseignement de sa discipline. Il fait un travail de traitement de l’information ou de « transposition didactique » de savoir. Comme l'a dit Alain RIEUNIER: "L'école a tendence à oublier les savoirs pragmatiques des situations sociales de référence qui sont à l'origine des savoirs universitaires (ou savoirs savants). Ces savoirs savants sont généralement obtenus par l'intermé de l'abstraction réfléchissante, c'est-à-dire par un traitement qui permet de formaliser des pratiques qui ont réussi. [...] Les savoirs universitaires ou savoirs savants sont ensuite à l'origine des savoirs scolaires qui ne sont que des savoirs simplifiés, édulcorés, éventuellement bâtards. Ces savoirs sont parfois totalement insensés (au premier sens du terme), c'est-à-dire privés de sens pour les élèves, car ceux qui les enseignent (les professeurs) ont souvent appris ces savoirs dans les livres et ne sont plus capables d'établir les ponts indispensables entre les savoirs et les situations sociales de référence qui leur ont donné naissance. Le rôle de l'enseignant consiste entre autres à retrouver le sens originel et à le faire partager à l'apprenant."[5] (Voir Les conceptions et les représentations, la trame conceptuelle, le triangle didactique, le contrat didactique, le milieu / la situation didactique, les pratiques de références, l'obstacle didactique, les effets didactiques, l'objectif-obstacle, le curriculum prescrit, réel, caché.)
  3. La pédagogie tend non seulement vers l’action éducative réfléchie tenant compte des valeurs humaines et sociales, mais aussi vers les stratégies d’enseignement efficaces et la méthode la plus efficace pour chaque type d’apprentissage. La pédagogie cherche à faire une synergie de savoirs et savoir-faire dans des champs d’expérience très divers. En fait, le pédagogue (le maître, aujourd’hui) est comparable à un acteur qui, à partir d’une réflexion philosophique, met en scène les éléments de réponses des chercheurs en Sciences de l’éducation (concernant les problèmes liés à la pratique de l’enseignement) et le travail de traitement de l’information du didacticien. Le pédagogue, en tant que praticien ou homme de terrain, s’intéresse à l’efficacité de son action face à des problèmes concrets d’enseignement-apprentissage. La source principale de son « intuition pédagogique » reste l’action et l’expérimentation, dont il tire validation et encouragement. Ainsi, les pédagogues peuvent-ils imaginer des actions pédagogiques très différentes (pour enseigner) en fonction de leurs conceptions philosophiques, de leurs objectifs et du milieu éducatif (ou du public ciblé). D’où la diversité des pédagogies. Autrefois, on distinguait la pédagogie générale de la pédagogie spéciale. La première portait sur les principes généraux qui caractérisent l'interrelation entre le maître et l’élève dans l’acte d’enseigner et d’apprendre. La seconde (embrassée aujourd’hui par la Didactique) particularisait l’acte d’apprendre en fonction de la matière enseignée.
    En réalité, toutes les pédagogies ont une seule finalité : facilité l’apprentissage. Elles font appel toutes à des réflexions, des méthodes d’organisation et de gestion de l’enseignement et de l’apprentissage.


Faisons le point (Jean Beauté)[6]



A)Gestion autoritaire, gestion non-directive et gestion institutionnelle


Gestion autoritaire

Le maître détient le pouvoir et le rapport de forces est en sa faveur. Les élèves font ce que le maître impose. Les contenus sont définis par l’institution. Les conflits n'ont normalement pas lieu d’être exprimés : les punitions coupent court à toute discussion.


Gestion non-directive


Le maître est volontairement effacé ; tout rapport de forces est exclu. Les élèves sont incités à exprimer demandes et attentes. Les contenus sont proposés par eux. Les conflits sont résolus au sein du groupe.

Gestion institutionnelle

Le maître est relativement effacé : il garde un certain pouvoir. Les élèves disposent du droit d’instituer des règles. Les contenus sont proposés par le maître dans le cadre d’un projet fédérateur. Les conflits sont réglés en conseil, avec le maître, ultime garant de l’ordre.


B) Pédagogie frontale et Pédagogie différenciée

Pédagogie frontale

  • une seule approche, celle qui est familière au maître ;
  • centration sur le groupe ;
  • valorisation des contenus ;
  • rejet d’une partie de la classe

Pédagogie différenciée

  • Plusieurs approches, qui correspondent aux différences entre élèves ;
  • centration sur les individus : Leur traitement de l’information ; Leur mode de restitution de l’information ; Leurs outils et stratégies d’apprentissage ;
  • valorisation des outils et des démarches différentes ;
  • volonté de « récupérer » tout le monde.


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[1] Françoise R., Alain R., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés : apprentissage, formation, psychologie cognitive,6° Ed., ESF, Paris, 2007.
[2] « La situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à défaut, se mettre à faire le fou. […] Toute pédagogie est articulée sur la relation privilégiée entre deux des trois éléments et l’exclusion du troisième avec qui cependant chaque élu doit maintenir des contacts. Changer de pédagogie revient à changer de relation de base, soit de processus. […] Les processus sont au nombre de trois : "enseigner", qui privilégie l’axe professeur-savoir ; "former", qui privilégie l’axe professeur-élèves ; "apprendre", qui privilégie l’axe élèves-savoir. Sachant qu’on ne peut tenir équivalemment les trois axes, il faut en retenir un et redéfinir les deux exclus en fonction de lui… » Voir Les sept propositions de J. Houssaye à partir du triangle pédagogique, dans La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, 7e Ed., ESF, Paris, 1993, pp. 14-24.
[3] Ibid, pp. 13-14.
[4] Gilbert LONGHI, et Al., Dictionnaire de l’Education, Vuibert, Paris, 2009, p 569.
[5] Alain R., Préparer un cours, les stratégies pédagogiques efficaces, Tome 2, ESF, 3e Ed., Paris, 2007, p. 170.
[6] Jean Beauté, Courants de la pédagogie, Chronique sociale, 5e Ed., Lyon, 2004, pp. 68-100.